Terres ascendantes, Chapitre 4 (1157 mots)

4. Notes du Trois Kasas de l’an soixante cinq ; par le marchand

Nous avons atteint la petite bourgade de Tétol, en aval du fleuve Sloda. Le voyage a pris quatre jours depuis la cité d’Hitess. Les habitants sont accueillants et semblent disposer de belles lames ouvragées, conçues pour l’estoc. Je n’en ai encore acquis qu’une, mais j’ai bon espoir de faire mieux plus tard. -Penser à acheter plus de jarres la prochaine fois que je passerai à Karsam, les gens d’ici m’en donneront un bon prix.-

Timmy a encore fait des siennes aujourd’hui. Il m’a ramené un adolescent d’une dizaine d’année, à demi mort de faim, et a demandé à ce qu’on le nourrisse. Il semblait véritablement ému par le sort de ce garnement… Je l’ai laissé partager ses rations : après tout ce sont les siennes.

Ce garnement est insupportable, mais je dois admettre que j’ai fait une bonne affaire en l’embarquant. J’ai cru que sa mère n’allait jamais s’arrêter de pleurer lorsque le gamin m’a demandé de l’emmener, mais finalement c’est elle qui m’en a convaincue. Je n’ai pas encore consigné cette transaction, je vais le faire maintenant.

Le vingt-deux Pétros de cette année, j’ai croisé par hasard le campement de deux sauvageons, une femme et son fils. Ils étaient assez pauvres, mais pas autant que ce à quoi on aurait pu s’attendre pour des gens vivant aussi reclus. En fait ce fut uniquement parce le fleuve était en crue que je les rencontrai : j’avais fait un large détour pour éviter que la roulotte ne soit prise dans la boue. Détour fructueux s’il en est, car la femme sculptait de magnifiques bas-reliefs d’animaux que je lui échangé contre un service, que j’ai finalement réussi à retourner à mon avantage. A la base, j’avais pensé troquer ces gravures contres quelques jarres de blés, aliment que manifestement ces gens n’avaient pas l’habitude de consommer. ― D’ailleurs j’en ai finalement tout de même laissée une à la femme mais c’était seulement par sécurité, au cas où elle ne trouverait pas assez à manger sans son fils.-

Car il a insisté. Dès l’instant où j’ai commencé à lui parler des cités humaines, à a peine deux semaines de voyage de là, ses yeux se sont enflammés. Ce point franchi, il fut impossible de le faire changer d’avis. Il voulait venir avec moi. J’acceptai en échange d’une dizaine de gravures, que j’ai d’ailleurs revendues à bon prix un peu plus tard. Il s’appelle Timmy et je dois repasser le rendre à sa mère quatre mois environ après l’avoir emmené, soit encore cinquante-trois jours… J’ai fait un certain bénéfice sur ces gravures, même en comptant la nourriture du gamin.

Mais là où j’ai été le plus malin, c’est lorsque j’ai compris que je pourrais me servir de lui. J’ai bien entendu l’intention de le ramener à sa mère, je suis un honnête marchand. Mais je n’ai jamais dit qu’il allait pouvoir se tourner les pouces pendant tout le voyage. Il n’est pas bien futé, ignorant jusqu’aux lettres de l’alphabet. Mais je dois être un bon professeur car j’ai finalement réussi à lui apprendre à compter correctement. Il connaît désormais les chiffres (je l’ai interrogé jusqu’à deux cent, je pense qu’il a finit par bien comprendre le principe) et sait faire les additions sans trop se tromper. Comme je suis quelqu’un de persévérant, je vais essayer de lui apprendre les multiplications…mais plus tard. Il est un peu débile, et ce n’est que grâce à ma pédagogie qu’il a pu apprendre toutes ces choses. En fin de compte, cette situation est tout à mon avantage, car il m’est devenu extrêmement utile. Il tient tous les comptes à ma place. Il a même l’air d’aimer ça le bougre ! C’est un sauvage après tout, cela doit l’impressionner d’être capable de ce genre de prodige… Et moi cela me laisse plus de temps pour faire ami-ami avec mes clients potentiels.

Il est également capable de me faire de tête l’inventaire de ce que nous transportons… Probablement grâce à mon système de rangement, que j’ai toujours trouvé extrêmement bien pensé. Avec un esprit jeune comme le sien, ce doit être facile de mémoriser quelque chose d’aussi ordonné.

Par contre pour le reste, le moins qu’on puisse dire c’est qu’il est indiscipliné. Sans cesse à visiter les villes dans leurs moindres recoins et à fouiner un peu partout. J’ai déjà eu quelques problèmes avec des villageois à cause de lui. Rien de grave, mais certains l’ont tout bonnement chassé à coup de pied dans les fesses ! Je les comprends : ce gamin aborde les gens sans aucune gène, les saluant comme s’ils étaient de vieux amis. Il n’arrête pas de poser des questions : sur leurs métiers, leurs maisons, leurs familles… De quel esprit ce gamin a-t-il été doté par le ciel ? Le voilà l’autre jour qui me demande s’il ne serait pas plus simple de construire des maisons rondes plutôt que rectangulaires ! Drôle d’idée. L’imbécile n’avait pas pensé qu’avec des maisons aux murs droits, on pouvait coller plusieurs bâtiments les uns aux autres et leurs faire partager plusieurs murs …

A part ça, le nouveau est tout à fait inutile. Bien que manifestement plus âgé, il suit Timmy comme son ombre et ne fait que ce que celui-ci lui demande. Je me demande comment cela va finir… Est-ce qu’il veut le ramener à sa mère ? Après tout ce ne sont pas mes affaires : tant qu’ils ne me coûtent pas plus cher… Mais je dois les surveiller : Timmy est tout à fait inconscient et irresponsable : il n’a aucune notion de la valeur des choses et serait près à donner à manger à tout ceux qui lui demanderait … Si c’était mon fils, je l’aurai bien mieux éduqué !

Et voila maintenant qu’il me ramène un autre chenapan ! Évidemment c’est un orphelin : selon ses dires ses parents sont morts de la grippe il y a trois ans… Timmy semble s’y être attaché et insiste pour que nous l’emmenions avec nous. Je n’ai rien contre du moment qu’il le fait manger sur sa part, et c’est ce que je lui ai dit. Et c’est ce qu’il fait. Nous voilà désormais trois dans la roulotte ― où est passé le temps où je voyageai seul pendant des mois ? Ça me rappelle ma jeunesse, quand je ramassais les jolies jeunes filles dans les villages…

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